jeudi 12 novembre 2009

De la sensibilité et de ses variétés.


Tout à l'heure, dans l'exposition Jim Hodges au Centre Pompidou, la plupart des visiteurs s'attardaient sur les oeuvres accrochées au mur: dessins de fleurs réalisés au bic sur serviettes de bar en papier, toiles d'araignées taillées dans le papier, miroirs brisés marouflés sur toile ...

Il semble bien que nous allions spontanément vers ce qui se tient à la hauteur de notre regard et que nous aimions finalement peu nous pencher sur des vitrines.
Car, une vitrine, il y en a une en effet, au milieu de l'une des pièces.

Pendant le temps que je me suis attardée là, pas un visiteur ne s'y est arrêté (en général, on se contentait de l'effleurer du regard en passant, règle à laquelle je n'ai pas échappé).

Pourtant, il y a eu une exception: un groupe de jeunes Japonaise qui, apparemment moins intéressées par le reste, sont venues s'attarder très longuement sur le contenu de la vitrine, le commentant en long et en large (hélas pour moi, en japonais...), pointant du doigt tel et tel détail.
Après leur départ, je me suis approchée, me demandant bien ce qui pouvait les attirer tant dans cette oeuvre.

A vrai dire, c'était, à première vue, quelque chose de "vite vu", un journal (genre quotidien) dont les pages étaient entièrement recouvertes par une feuille d'or. A priori, pas grand chose à détailler, là-dedans, avec notre regard analytique et intellectuel d'Occidentaux.

Mais on sait que les Japonais sont des amoureux du papier. Et du coup, j'ai eu envie d'essayer d'entrer un peu dans leur sensibilité, de percevoir ce qu'elles avaient pu percevoir avant moi.
Et là, j'ai remarqué les moirures de l'or, les pliures du journal et son gaufrage préservés par la feuille d'or, j'ai aperçu les trous discrets qui ponctuent la marge basse des pages, et puis surtout la délicatesse avec lesquelles les feuilles, parce qu'elles étaient recouvertes d'or, se posaient les unes sur les autres.

J'aurais bien aimé en sentir plus, avancer encore davantage dans la perception que ces Japonaises avaient eu de cette oeuvre.
Parfois je fantasme sur une sensibilité démultipliée, qui permettrait à chacun de sentir autant que tout le monde réuni. Ce serait évidemment impossible à supporter.
Heureusement, il suffit parfois de tendre l'oreille, d'observer les autres et d'échanger avec eux, pour repousser un peu les limites de notre propre perception.

Am.


(Image: No More Dreams / In Real Time, 1994. (Plus de rêve / En temps reel). Fusain et chaîne en laiton sur papier. 107,3 x 76,8 cm. Collection particulière. Courtesy CRG Gallery.)

1 commentaire:

Anonyme a dit…

C'est si vrai!
Je m'étonne souvent de notre faculté de très bien dessiner lorsqu'on regarde vraiment, et que l'on ne dessine pas limage que l'on a de l'objet.
Apprendre à regarder... Apprendre à s'arrêter
almellit