lundi 30 novembre 2009

De la république en Suisse et à Lille


Deux anecdotes récentes nous poussent ici à soulever la question de la république, de la cité.
La semaine dernière, Martine Aubry, invitée de l'émission d'Arlette Chabot "A vous de juger" est interpelée par son contradicteur Jean-François Coppé. Celui-ci souligne qu'en tant que maire de Lille, elle a aménagé des horaires dans certaines piscines municipales afin qu'elles soient réservées aux femmes. Décision qui faisait suite à des demandes venues de la communauté musulmane lilloise.
Coppé s'honorait pour sa part d'avoir renoncé à mettre en oeuvre à Meaux une décision de cette nature au nom de la sainte religion "laicité".
Mon sentiment est que la république doit s'organiser pour répondre aux attentes de sa population. Attentes qui évoluent avec l'histoire. Il y a en France plusieurs millions de citoyens musulmans. Il est donc légitime de répondre aux attentes de cette population.

Autre anecdote. La Suisse a conclu par votation citoyenne l'interdiction de construire des minarets. Je considère que la démocratie, sur cet exemple précis a parfaitement fonctionné. Mais au détriment de l'idée qu'on peut se faire des devoirs de la cité, de la république envers ses citoyens. Quand une majorité décide de nier une minorité, ne s'agit-il pas d'une tyrannie ?
nm.

dimanche 29 novembre 2009

Des illustrations (3) - n'étends pas la main contre ton enfant !


« Prends ton fils, ton unique, que tu chéris, Isaac, et va-t-en au pays de Moriyya, et là tu l’offriras en holocauste sur une montagne que je t’indiquerai ». C’est par ces mots que la bible nous dit comment Dieu mit à l’épreuve Abraham. Sacrifier son fils unique, qu’il aura attendu 100 ans de voir naître de sa femme Sarah, si longtemps restée stérile. Sur la montagne, le regard du fils va vers le père, celui du père vers l’ange envoyé de Dieu pour arrêter son geste, qui le fixe du même regard. Le messager de Dieu bien que lointain semble retenir le bras d’Abraham. Leurs bras sont cerclés des même anneaux dorés. Comme confondus. Par le regard et par le geste, Abraham et l’ange se répondent, presque en miroir l’un de l’autre.

« N’étends pas la main contre ton enfant ! Ne lui fait aucun mal ! » C’est ainsi que l’épreuve s’achève et que le bélier pris par les cornes dans un buisson à proximité sera immolé à la place d’Isaac. Ce récit immémorial nous dérange. D’abord parce qu’il s’agit de sacrifice humain. Et puis comment comprendre l’obéissance d’Abraham qui le mène à une violence froide contre son propre fils ?

Nous citerons ici René Girard, dont nous apprécions particulièrement « des choses cachées depuis la fondation du monde » et ses travaux sur l’origine de la violence, et qui souligne d’abord l’importance du contexte historique : le sacrifice des enfants premiers nés est pratiqué à cet époque tout autour de la région où vit Abraham et ses descendants. Ce qui nous apparaît ignoble aujourd’hui, n’est pas rare au temps du récit, et ce qui l’est plus est peut être la substitution du sacrifice animal au sacrifice humain.

Un article d’Olivier Maurel nous suggère dans la même veine de considérer la nature d’Abraham profondément respectueuse de la vie (l’épisode de Sodome et bien d’autres récits le montrent) et son incompatibilité avec une résignation soudaine à tuer son propre fils. Ne faut il pas voir plutôt le poids de la coutume de sacrifice du premier né et la réaction individuelle d’Abraham face à cette tradition ? L’ange de Dieu n’est il pas simplement l’amour du père pour son fils qui retient son bras et invente un rite de substitution ? Le regard d’Abraham vers le messager un regard en lui même ?

« Abraham contrairement à ce qu'on voit toujours en lui, est moins l'homme de la foi que l'homme de la conscience et du cœur, opposés à la tradition issue de la violence fondatrice. » conclut Olivier Maurel. Belle conclusion.
df.

lundi 23 novembre 2009

Des illustrations (2) - l'accouplement en milieu clos


« Yahvé dit à Noé : Entre dans l'arche, toi et toute ta famille, car je t'ai vu seul juste à mes yeux parmi cette génération. ». La bible dit qu’ils sont restés un peu plus d’un an dans l’arche, inquiets de l’avenir, témoins muets de l’anéantissement de toute vie sur terre. Leurs regards sont inquiets au travers des ouvertures de l’arche. Est ce l’étendue d’eau qu’ils regardent avec crainte ? le corps inanimé qui flotte à la surface de l’eau ? Est ce la terre sous l’eau qu’ils cherchent des yeux ? Est ce l’espoir de vie qu’ils guettent ?

Un ami nous faisait remarquer dernièrement qu’ils sont restés un peu plus d’un an dans l’arche, et en sortent comme ils y sont entrés : Noé, ses fils, sa femme et les femmes de ses fils. Ils n’ont pas donné naissance à de nouveaux fils et filles. Les fils de Noé d’un côté et leurs femmes de l’autre, comme pour mieux marquer la séparation. Est ce le désespoir que nous lisons dans leurs yeux ?

Leurs visages muets à l’image de leur vie muette en milieu clos. Stérile, elle ne sert à rien, elle n’aboutit à rien. Chaque vie est préservée mais ne donne pas de nouvelle vie dans l’arche. Figée. Dans l’attente. Suspendue.

La main de Noé est tendue à l’extérieur de l’arche vers la colombe qui annonce la baisse des eaux. Comme échappée de l’intérieur infertile. Symbole d’espoir, de mouvement. Lien poétique entre l'homme isolé et la terre qui l'accueille. L'homme ôté de la nature. La lecture d'Yvon Quiniou sur le matérialisme de Karl Marx raisonne superbement dans ces illustrations "L'homme, par conséquent, est bien un être naturel, mais c'est un "être naturel humain", capable de penser et de transformer la nature dont il dépend et, surtout, acteur d'une histoire à travers laquelle il se fait : celle-ci est son lieu ou son acte d'"engendrement", la véritable histoire naturelle de l'homme".

« Noé sortit avec ses fils, sa femme et les femmes de ses fils ». Hors de l’arche, de l’attente, du silence. Rassurés par la promesse divine de ne plus détruire toute chair, ils donneront naissance à une nouvelle création.
df.

Des produits de l'Officina Profumo Farmaceutica Santa Maria Novella à Paris


Il existe à Florence bien des chefs d'oeuvres. Les Offices, la chapelle Brancaci, le Duomo, Santissima Annunziata ... Et une antique pharmacie, tout à coté de l'église Santa Maria Novella, l'Officina Profumo Farmaceutica Santa Maria Novella. Fameuse depuis 1612, elle est notemment reconnue pour son intérieur magnifique et pour avoir créé depuis plus de 300 ans des eaux de cologne et toute une déclinaison de précieux produits comme des encens, des huiles, bougies ... Parmi ceux-ci une Cologne créée pour Catherine de Médicis. Il est difficile de trouver ses produits hors de Florence, aussi la rédaction du Blog d'Issac vous recommande la boutique Amin Kader, 2 rue Guisarde à Paris, qu'on préférera à celle de la rue de la Paix, pour l'excellent accueil japonais que vous recevrez.

Vous y retrouverez une sélection réussie de produits parmi lesquels le superbe Papier d'Arménie.

dimanche 22 novembre 2009

De Cécile Duflot, courte note


Elle a appelé sa fille Térébentine.
Mieux qu'un discours politique, qu'une profession de foi.
Cette femme ne peut être que totalement dérangée pour avoir choisi un prénom pareil. Aucun doute là-dessus.

samedi 21 novembre 2009

De mettre en scène (3) - "Sur la route..." avec la Cie Les Colporteurs


Il fait noir. Un homme est assis aux pieds d’une installation de mâts inclinés et de fils de fer tendus dans les airs. Immobile. Dans la lumière crue qui l’éclaire, il relève ses genoux à l’aide de ses mains, positionne ses pieds minutieusement, roule, s’agenouille et lentement se redresse. Il se met debout. Comme on met debout son corps accidenté il y a 9 ans, paraplégique.




Dans un équilibre fragile il se met en marche. Lentement il fait le tour de l’installation. Funambule à terre, il suit l’ombre projetée au sol par les fils, au dessus.
Puis vient la fille. Aérienne. Elle s’élance sur les fils de fer, pieds nus sur le métal. Elle dans les airs, lui retenu à terre, comme si le poids de son être l’attirait irrémédiablement vers le sol. Elle chante sur son fil. A genou. Il la suit, en dessous.
Et la rencontre, l’étreinte, elle perchée sur son fil, lui dont les pieds s’arrachent du sol à la force des bras agrippés au même fil. Il la prend dans ses bras. Elle s’appuie sur lui pour avancer dans les airs, parfois sur le bras comme un fil de chair tendu entre deux fils de métal, parfois sur les mains, la tête, en équilibre. Et puis c’est à son tour de le relever depuis son fil, de le tirer, de le soutenir.
Elle descend jusqu’à lui, ils se cherchent, se bousculent, courent ensemble. Ils s’étreignent, ils dansent. Une valse. Un pas de côté. Ils virevoltent. Magnifique chorégraphie de tendresse et de fragilité.
Elle part. Lui reste seul au milieu. Il se souvient, essaie quelques pas sans appui. La gravité le colle au sol. Comme par défi il saute et crie. On est touché par ce cri qui pourrait venir de notre ventre. On se souvient qu’un jour nous avions tout juste la force de tenir debout. Avec ce désir pourtant de s’élever encore. Puis tombe à terre inanimé.
Elle viendra le prendre, lui redonner le souffle, par ses cris par sa force, elle le traînera, le remettra debout. Et finalement lui donnera les appuis pour atteindre le haut de l’installation, tout en haut. Laissant sur lui le sourire de celui qui a trouvé la force de se remettre sur la route.
L’enfant à côté de moi ne comprend pas pourquoi je lui dis que l'homme avait du mal à marcher avec ses jambes. Dans la pénombre des projecteurs cela n’avait pas d’importance. Plus que des jambes, lui et sa partenaire nous ont donné des ailes.
df.

Du président de l'Union Européenne, ou la tentation du médiocre


La ratification du traité de Lisbonne par l'ensemble des états membres a permis d'engager les évolutions des institutions européennes.

L'une des réformes clé, une des plus emblématiques en tout cas, est de doter l'Union d'un président. Il y a quelques mois, l'hypothèse Tony Blair déchainait les passions. Les supporters de cette présidence arguant de l'incontestable autorité de celui qui fut pendant 10 ans le premier ministre britannique. Charismatique, artisan de la synthèse d'une gauche moderne et libérale à la fois, et populaire chef de gouvernenement. Blair à la tête de l'Union, ça avait de l'allure. Un homme dont la stature lui permettait de parler d'égal à égal avec Obama, Hu Jin Tao ou les chefs d'état de l'Union. Blair incarnait, je le crois, le choix d'une Union conquérante et amitieuse.

Mais ses détracteurs ont eu raison de cette option. Les arguments publics sont "politiquement audibles" :
Comment un homme qui à engagé son pays en Irak et qui est ressortissement d'un état qui n'appartient pas à Shengen et à l'espace de l'union monaitaire pourrait-il présider l'Europe ?
On peut entendre ces points de vue. Mais à mon sens, ils sont parfaitement contestables. L'engagement en Irak a toujours été assumé par Blair qui a procédé d'une décision politique. Contestable peut-être mais en tout cas, on a affaire à un dirigeant qui prend ses responsabilités. Ne pas être d'accord a posteriori sur une décision prise par un dirigeant ne peut être disqualifiant à mon sens. L'absence de sens des responsabilités et l'inaction sont péchés mortels en revanche.

Quant à l'argument de sa nationalité, c'est je le crois une plaisanterie : on nous parle de symbole ? En voilà un bien bel exemple. Tony Blair, citoyen européen avant même d'être britannique.

Ce que la faiblesse de ces arguments cache, c'est autre chose ... Au fond, ce que les dirigeants des plus grands pays de l'Union craignaient c'était sans aucun doute d'avoir un "boss" qui leur fasse de l'ombre.

Avec la désignation, jeudi soir, du premier ministre belge, Herman Van Rompuy, aucun risque ... mais alors aucun !

nm.

mardi 17 novembre 2009

De l'invasion des produits Bio, courte note


Une brève réflexion.
L'autre jour, j'avoue avoir été surpris par le nombre croissant de produits Bio qui peuplent dorénavant les rayons de nos magasins. De Monoprix à Franprix, en passant par Carrefour Market, aucun ne manque à l'appel. Sans compter bien entendu les supermarchés Bio à 100% (type Naturalia) qui eux aussi se multiplient.


Ne pensez-vous pas qu'il est tout de même invraisemblable d'avoir du créer un label vous garantissant que ce que vous mangez n'est pas bourré de saloperies en tout genre ? C'est en quelque sorte le monde à l'envers, et je reconnais que cette prise de conscience ne date pour moi que de ce week-end.
Au moment de choisir le Saumon fumé du brunch du dimanche matin. Avoir à arbitrer entre un produit naturel et un poisson gavé de sulfatochimico substances m'a paru soudain totalement incongru ...
nm.

lundi 16 novembre 2009

Des illustrations (1) - l’interdit de dévoration à l’origine de l’humanité


« Yahvé Dieu planta un jardin en Eden, à l’orient, et il y mit l’homme qu’il avait modelé ». Homme et Dieu face à face, symétriques, Homme à l’image de Dieu, Dieu à l’image de l’Homme. D’une main il emmène l’homme dans le jardin et de l’autre, index levé, il lui donne son commandement. D’une main il se laisse conduire, accueilli, et de l’autre, paume ouverte, il semble accueillir. L’arbre de la connaissance en axe de symétrie entre Homme et Dieu.

« Tu peux manger de tous les arbres du jardin. Mais de l’arbre de la connaissance du bien et du mal tu ne mangeras pas ». Le premier interdit à l’origine de l’humanité nous dit la bible. Où la liberté de l’Homme est mise à l’épreuve. Où la faculté de décider ce qui est bien et mal est en question.

Une récente lecture de Michela Marzano nous livrait un éclairage nouveau sur ce mythe ancestral. Plutôt que l’interdit de connaissance, elle propose d’y voir un interdit de dévoration visant à protéger la différence et l’alterité : tout n’est pas « objet » dans ce monde, tout n’est pas « consommable ». Il y a l’autre, et l’autre ne se mange pas. L’interdit de manger un seul arbre, c’est une limite que l’on met, un point de non assimilation, d’inconnaissance qui permet à l’autre d’exister comme autre. C’est une place pour la possibilité d’un autre que l’on garde.

Tu ne dévoreras pas l’autre afin de ne pas te détruire toi-même. Parce que dans le dévoilement intime de la relation à l’autre, nous saurons que nous, aussi, ne serons pas dévorés, détruits, effacés.
df.

dimanche 15 novembre 2009

Des illustrations (0) - introduction


La rédaction du Blog d’Isaac commence ici une série inspirée des mosaïques byzantines de la cathédrale de Monreale en Sicile.
Où l’on observe l’importance des représentations bibliques dans le lieu de culte, fonctionnant comme autant d’illustrations narratives de scènes venues de traditions orales millénaires. Une image, quelques mots accolés pour identifier les personnages ou l’action, et l’imagination de celui qui l’observe pour chercher le sens de ce qui est représenté.

Ce qui nous intéresse ici c’est l’interprétation à la portée de tous. Contrairement à l’écrit réservé aux lettrés ou au prêche orienté, chacun pourra se faire une idée de ce qui est montré « à ses yeux ». Nous jouerons ce jeu subjectif à partir d’images choisies dans la nef centrale dédiée aux récits les plus anciens de la bible.

En contrepoint des représentations byzantines, nous proposerons une image de Robert Crumb qui nous a fait le plaisir d’illustrer magnifiquement la Génèse il y a peu.
df.

jeudi 12 novembre 2009

De la sensibilité et de ses variétés.


Tout à l'heure, dans l'exposition Jim Hodges au Centre Pompidou, la plupart des visiteurs s'attardaient sur les oeuvres accrochées au mur: dessins de fleurs réalisés au bic sur serviettes de bar en papier, toiles d'araignées taillées dans le papier, miroirs brisés marouflés sur toile ...

Il semble bien que nous allions spontanément vers ce qui se tient à la hauteur de notre regard et que nous aimions finalement peu nous pencher sur des vitrines.
Car, une vitrine, il y en a une en effet, au milieu de l'une des pièces.

Pendant le temps que je me suis attardée là, pas un visiteur ne s'y est arrêté (en général, on se contentait de l'effleurer du regard en passant, règle à laquelle je n'ai pas échappé).

Pourtant, il y a eu une exception: un groupe de jeunes Japonaise qui, apparemment moins intéressées par le reste, sont venues s'attarder très longuement sur le contenu de la vitrine, le commentant en long et en large (hélas pour moi, en japonais...), pointant du doigt tel et tel détail.
Après leur départ, je me suis approchée, me demandant bien ce qui pouvait les attirer tant dans cette oeuvre.

A vrai dire, c'était, à première vue, quelque chose de "vite vu", un journal (genre quotidien) dont les pages étaient entièrement recouvertes par une feuille d'or. A priori, pas grand chose à détailler, là-dedans, avec notre regard analytique et intellectuel d'Occidentaux.

Mais on sait que les Japonais sont des amoureux du papier. Et du coup, j'ai eu envie d'essayer d'entrer un peu dans leur sensibilité, de percevoir ce qu'elles avaient pu percevoir avant moi.
Et là, j'ai remarqué les moirures de l'or, les pliures du journal et son gaufrage préservés par la feuille d'or, j'ai aperçu les trous discrets qui ponctuent la marge basse des pages, et puis surtout la délicatesse avec lesquelles les feuilles, parce qu'elles étaient recouvertes d'or, se posaient les unes sur les autres.

J'aurais bien aimé en sentir plus, avancer encore davantage dans la perception que ces Japonaises avaient eu de cette oeuvre.
Parfois je fantasme sur une sensibilité démultipliée, qui permettrait à chacun de sentir autant que tout le monde réuni. Ce serait évidemment impossible à supporter.
Heureusement, il suffit parfois de tendre l'oreille, d'observer les autres et d'échanger avec eux, pour repousser un peu les limites de notre propre perception.

Am.


(Image: No More Dreams / In Real Time, 1994. (Plus de rêve / En temps reel). Fusain et chaîne en laiton sur papier. 107,3 x 76,8 cm. Collection particulière. Courtesy CRG Gallery.)

mercredi 11 novembre 2009

De mettre en scène (2) – impromptu


« La chance… le pont… la colère… la montagne… ». C’est par la voix que le spectacle « impromptu » de Loïc Touzé nous invite à changer de point de vue. Sur scène 6 jeunes gens égrainent une longue liste de mots à tour de rôle, autant d’images évoquées, qui se succèdent trop vite pour s’imprimer dans nos imaginations. Au fond de l’air un morceau de musique. Romantisme allemand. Ils se tiennent debout tout au bord de la scène. Tout près. Trop près de nous. Leur présence est hypnotique. On ne se sent pas très à l’aise (et puis ces 2 projecteurs braqués sur le public nous éblouissent un peu).
Le morceau s’achève puis reprend de plus belle. Les jeunes gens reculent et reprennent le jeu des mots en changeant la prononciation, accentuant chaque syllabe, à outrance, comme une dictée de notre enfance. Effet comique, on sourit, on se décontracte (ces 2 projecteurs sont tout de même gênants, ils ont dû oublier de les éteindre).
Chacun disparaît au fond du grand couloir noir qui mène au fond de la scène dont on ne distingue presque rien. Un à un ils reviennent devant nous réaliser un solo de danse, yeux fermés, somnambules, gestes mécaniques. Tels des automates, désarticulés, le mouvement est brusque et impulsif, comme une ébauche de chorégraphie, pas encore bien taillée, arrêtes saillantes, volumes approximatifs. Opéra italien. Au fond du couloir la troupe s’anime dans une lumière tamisée, on croit voir des accessoires (décidément ces projecteurs sont gênants, on distingue quelques ombres tout au mieux).
Suite aux 6 solos, les danseurs reviennent le visage et les mains peints de blanc et réalisent chacun de nouveaux solos les yeux ouverts. L’effet est réussi, les yeux ouverts, le regard danse devant nous, fixe, intrigué, intrigant, et la chorégraphie s’incarne. Jazz vocal. On croit voir passer une ébauche d’un pas de Fred Astaire, une autre d’un entrechat. La danse s’invente devant nos yeux. On se croirait dans la tête d’un danseur. Ils vont et viennent le long du tunnel de plus en plus sombre (heureusement les projecteurs du public se sont éteints).
On distingue mieux le fond de la scène. Une tête de daim empaillée, un chapeau de cow-boy à paillettes, un manteau de fourrure, un truc à plume pour danse de revue… Ils finissent pas ne pas revenir. Les danseurs s’emparent des accessoires dans la seule lumière qui subsiste tout au fond. Magnifiques tableaux clairs obscurs. Comme avant de monter sur scène. Une autre scène. Là bas. Au delà. Nourris des mots et des représentations, des ébauches de gestes et de mouvements, les yeux fermés, les yeux ouverts. Le renversement est complet. Notre point de vue a changé (ah c’était fait exprès).
Nous avons vu la danse se créer de l’intérieur. Merci Loïc Touzé et ses danseurs.
df.
http://www.t-n-b.fr/fr/mettre-en-scene/fiche.php?id=238

mardi 10 novembre 2009

De l'éditorial de la semaine, Sarkozy et NKM dans la ligne de mire


Le sens de l'action politique et de la démocratie. Rien de moins qu'un sujet aussi important, illustré cette semaine par une intervention de Nathalie Kosciusko-Morizet lors d'une interview dans l'émission hebdo de Ardisson sur Canal, pour inaugurer les éditos du Blog d'Isaac.
A une question portant sur les promesses non-tenue à ce jour d'augmentation du pouvoir d'achat, thème central de la très réussie campagne de Nicola sSarkozy, NKM s'est retranchée derrière la crise mondiale.
Ha, la crise mondiale ... Bien entendu que personne ne s'y attendait. Bien entendu qu'elle impose que nos politiques et que toute la société civile s'adapte et se transforme pour la contrer. Mais pour autant, les conditions auxquels nos politiques sont confrontées les dédouanent-ils de tenir leurs engagements ? Ce n'est pas l'idée que je me fais de l'action politique. Car si c'était le cas, il faut cesser d'organiser des élections. Et nommer à la tête de l'état des gestionnaires. Qui adapteront en fonctions des aléas de la vie du monde la politique du pays en hommes pragamtiques. Or le pragmatisme semble bien être une doctrine revendiquée par nos gouvernants.
En y réfléchissant, c'est abject. Une insulte au vote populaire. La démacratie donne la parole au peuple qui confie mandat à une équipe ou à un homme pour appliquer un programme, et l'appliquer quelque soient les conditions.
Avec la personnalité de Sarkozy, on pouvait penser que le temps des excuses étaient révolu. Ce n'est pas le cas. Ce qui peut laisser de l'espace à des compétiteurs du présidents pour 2012.
nm.

dimanche 8 novembre 2009

De mettre en scène (1) – inStallation


« Ce soir nous allons au cirque ». C’est sous le chapiteau du TNB Ropartz de Rennes que nous avons découvert le spectacle « inStallation » proposé pour le festival « mettre en scène » du Théâtre National de Bretagne.
Tout commence par un cheval blanc au milieu de la piste et un homme ratissant le sable et la sciure. Un harmonium met en musique les gestes du balais. Tout commence dans une écurie. La piste s’anime ensuite par un numéro de dressage en liberté avec un maître de manège orchestrant les enchaînements de 4 magnifiques chevaux blancs. Puis viennent les numéros d’acrobatie dans les airs à la perche, à la corde, aux tissus. Le cheval noir et le jonglage au diabolo. Orgues Fender Rhodes, basses électriques et batteries rock à l’accompagnement.
A travers la virtuosité des hommes et des femmes, la poésie trouve son chemin : le corps de l’acrobate se fait corde pour sa partenaire et soudain la fragilité humaine nous émeut, les parapluies renversés suspendus dans les airs et l’homme resté à terre qui jette du sable, comme on jetterait son humanité vers le ciel, et va rebondir dessous, comme une pluie à l’envers.
Peu à peu les hommes et les femmes s’introduisent dans l’écurie, trouvent leur place, d’abord parmi les chevaux dans une course effrénée autour du manège, puis à leur place autour d’un piano à queue qu’ils installent au milieu de la piste. Puis s’ajouteront batterie, accessoires inventés, propulseurs de diabolos, et numéros d’équilibre sur fil de fer. C’est certainement de cette installation qu’il s’agit. De l’homme dans la nature. Dans un dernier tour, le diabolo fait son numéro sur le fil tendu au dessus du piano puis vient tourner comme une toupie sur le couvercle noir, sous le regard des musiciens et acrobates rassemblés, et d’un cheval blanc intrigué.
A mes côtés, l’enfant sur son banc étend les bras à l’horizontal pour faire l’équilibre. Les yeux accrochés au fil de fer qui traverse la piste. Merci les artistes.
df.
http://installation08.ch/inStallation_cms/index.php?page=presentation-fr

samedi 7 novembre 2009

De l'exposition "Titien, Tintoret, Véronèse ... Rivalités à Venise"

C'est l'exposition phare de la saison 2009-2010 au Louvre. Un blockbuster surgit de la renaissance en quelque sorte. La promesse d'une concentration de velours vénitien et de chefs d'oeuvres venus des 4 coins du monde.
On y va sans crainte d'être déçu. Et on a raison. L'exposition est magnifique. Malheureusement, le public très nombreux (même en nocturne) demande parfois qu'on sache faire l'abstraction du bruit ou des bousculades. Mais les oeuvres aident au bien-être, soyez-en certain.
Je vous recommande très vivement d'aller voir cette exposition. Une fois, deux fois ... Elle se déploie avec beaucoup de clarté, de beauté dans le très bel écrin du Hall Napoléon.
Je ne vous ferai pas l'insulte de faire ici la réclame des artistes présentés. On rappellera peut-être que cette exposition met parfaitement en lumière un moment de l'histoire de la peinture. Le XVIe Siècle vénitien qui semble surgit du génie créatif de Titien, fortement en rupture avec la renaissance classique et florentine qui domine alors. On fera ici l'expérience des différences passionnantes qui séparent les Florentins, leurs enfants (les 3 classiques Raphael, Michel-Ange et Leonard) et leurs petits enfants les maniéristes aux Vénitiens. C'est comme comparer le velours au marbre. La ligne au toucher.
Quelques unes des oeuvres présentées dans l'exposition :


Titien, mise au tombeau, Madrid, musée du Prado



Tintoret, Suzanne et les vieillards, Vienne, Kunsthistorisches Museum



Véronèse, Les Pélerins d'Emmaüs, Paris, Musée du Louvre

Je vous renvoie par ailleurs à l'excellent petit site monté par le Louvre à l'occasion de cette exposition.

nm.

vendredi 6 novembre 2009

De la chute du mur et de leurs érections


La rédaction du Blog d’Isaac se joint à sa façon au concert de célébrations pour l’anniversaire de la chute du mur de Berlin en poussant par ici un petit commentaire aperçu il y a quelques temps chez Alain Badiou.
Nous ne parlerons pas ici du mur berlinois, mais plutôt des murs que ce mur nous évoque : en Palestine, au Mexique, en Espagne, et bien d'autres lieux, des murs se construisent pour "étanchéifier" les frontières que les états ont construits et protéger des hommes de la venue d’autres hommes. Autant de grandes murailles à vocation de “fortifier“ une zone de prospérité contre ceux, plus pauvres, qui voudraient accéder à cet Eldorado. Et encore par chez nous, combien de discours sur la nécessité de restreindre l’immigration, de contrôler les frontières ? Combien de centres de rétention pour retenir ceux que l’on a exclu de notre société avant de les expulser du territoire français ? Et si peu sur la coopération internationale, ce qui peut être fait pour rendre notre monde plus égalitaire.
Alain Badiou pose la question du prix des privilèges dont nous jouissons en tant que citoyen français. Est-ce là le prix à payer ? Laisser un monde extérieur à sa pauvreté et construire des murs pour que sa misère reste extérieure à notre monde intérieur ? Avec 200 millions de migrants dans le monde par an, les constructeurs de murs ont de beaux jours devant eux… à moins que nous ne choisissions collectivement de penser qu’il y a un seul monde ? Sans extérieur et sans intérieur. Et de préférer le développement du même à l’opposition à l’autre ?
df.

mercredi 4 novembre 2009

Du soulier anglais à Paris, Edward Green installe une boutique boulevard St-Germain



On a pu s'exprimer par le passé sur le sujet. Le soulier se doit d'être anglais. Et idéalement venir de Northampton.
Cette ville anglaise située dans le Northamptonshire a la particularité d'héberger les plus fameux bottiers de sa gracieuse majesté : John Lobb, Church's,Crockett & Jones, Edward Green, Tricker's.
Et Paris de compter jusqu'à aujourd'hui des échoppes Church's, Crockett et Lobb. Avec en prime des ateliers Mesure de Lobb, le roi des bottiers (aujourd'hui propriété du groupe Hermès). Aujourd'hui c'est donc Edward Green qui s'installe Boulevard St-Germain. Isaac vous recommande chaleureusement d'y flaner. Et de vous y chausser !

dimanche 1 novembre 2009

De la poésie en pyjama

C’est à 2 heures du matin le 31 août 1970 que l’on réveilla Leonard Cohen pour monter sur la scène du festival de l’île de Wight. Après 5 jours de musique, de fatigue, de bagarres en tout genre, de chaos, le public est électrique et la tension à son comble (plusieurs musiciens ont dû arrêter prématurément leur performance, voire l’annuler simplement). Le poète se chauffe la voix avec ses choristes, puis monte sur scène, sans prendre la peine de se changer vraiment : un imperméable beige noué à la taille sur son pyjama gris suffira. Il prend le temps d’accorder sa guitare et s’approche du micro : « Greetings. Greetings. When I was seven years old, my father used to take me to the circus. He had a black mustache and a great vest and a pansy in his lapel. And he liked the circus better than I did. But there was one thing at the circus that happened that I always used to wait for. […] there was one moment when a man would stand up and he would say “would everybody light a match? So we can locate one another” ». Il demandera aux 600 000 personnes rassemblées autour de la scène d’allumer de la même façon une allumette pour les voir dans l’obscurité, sentir leur présence. Plus tard dans la nuit, il parlera de Nancy qui mis fin à ses jours en 1961, et qui n’avait personne près d’elle pour allumer une allumette. « Seems So Long Ago, Nancy ». Le poésie est partout : dans la voix du poète, dans les lumières qui surgissent de la nuit, dans nos yeux qui se sont ouverts.