jeudi 3 juin 2010

De faire du théâtre quand on n'en fait pas

Il fait chaud sous la verrière du centre culturel de Cesson-Sévigné. On attend pour entrer dans la salle de spectacle. Au programme : William Shakespeare.
"Caoutchouc ! Caoutchouc ?!" Dehors, un homme errant cherche son chien. "Beaucoup de bruit pour rien". Encore une nuit d'été en perspective...

L'alarme incendie s'est déclenchée. Tout le monde ressort du bâtiment pour attendre sur la petite place qui le devance.
On discute, on profite de l'air frais. Finalement c'est pas si mal d'être dehors.

Les responsables expliquent qu'un court circuit a eu lieu. Ils réparent... Les minutes passent. Certains s'impatientent. Un couple est au bord de la rupture derrière moi "Tu ne vas pas encore recommencer..."
Bonne ambiance. Une femme crie "c'est encore un coup des intermittents !" un syndicaliste répond. Ca fait marrer l'intello au cigarillos à côté de moi. Encore une nuit d'été en perspective...

La réparation est plus longue que prévue. Un acteur sort, puis un deuxième. Le technicien en cause également. Le ton monte. "Et c'est à ça que servent nos impôts ???" crie la femme.
Derrière moi, ça ne s'arrange pas beaucoup, le gars est parti. La fille pleure. Ambiance.

"Caoutchouc ! Caoutchouc ?!" Tiens, il n'a pas encore trouvé son chien ?

Re-alarme. "Mesdames, Messieurs, le spectacle est annulé... mais si vous voulez les comédiens peuvent répondre à vos questions" C'est marrant comme idée ça.
La prof de français est ravie à côté (elle ne pleure plus). Une étudiante aussi, qui pose des questions sur la difficulté d'apprendre son texte.
Le problème, là, maintenant, c'est l'acoustique. On n'entend pas bien avec ce brouhaha. Le monde tout autour, l'alarme, l'homme errant qui raconte des blagues...
En même temps il est marrant. Il fait du bruit, mais il est marrant. C'est pas si mal d'être dehors.

C'est dommage, d'après les comédiens, la mise en scène était originale, avec des vidéos projetées sur les murs d'un bunker, des costumes de guerre... Cela dit tous ne sont pas du même avis visiblement.

Finalement, ils décident de jouer dehors. On s'organise, en cercle. C'est mieux pour l'acoustique. Ils jouent, un peu... entre 2 interruptions, l'homme errant et sa guitare, le gars au cigarillos qui fait conférence sur Shakespeare.
J'apprends un truc intéressant : Shakespeare vit justement à l'époque où le théâtre quitte la rue pour entrer dans des murs. La situation est cocasse...
La prof de français accepte de remplacer une comédienne absente... Le technicien allume des feux à l'intérieur du cercle. La magie d'une nuit d'été. Finalement c'est pas si mal d'être dehors.

Le théâtre de la troupe 26 000 couverts n'est évidemment pas conventionnel. On y vient pour voir une pièce que l'on ne verra jamais. Ici tout est manipulation. Chaque spectateur peut être un acteur...
c'est un théâtre commando dont le but est de bousculer. Bousculer ces intellos qui courent écouter "Beaucoup de bruit pour rien" avec une mise en scène vidéo.
Qu'est ce que le théâtre ? Pourquoi le théâtre est-il dans les murs ? Qu'y a t il qui nous surprenne dans le théâtre que nous recherchons ?
Réflexion personnelle : ils n'auront pas proposé le théâtre à ceux qui ne vont pas au théâtre d'habitude, mais à défaut, ils auront dérangé ceux qui courent s'y enfermer.

Ils auront aussi aiguisé notre désir de poésie en jouant par bribes infimes des scènes merveilleuses. Le technicien joue David Bowie et son Slip Away sur un petit magnéto.

Juliette: Ô Roméo! Roméo! pourquoi es-tu Roméo? Renie ton père et abdique ton nom; ou, si tu ne le veux pas, jure de m'aimer, et je ne serai plus une Capulet.

Roméo, à part: Dois-je l'écouter encore ou lui répondre ?

Juliette: Ton nom est mon ennemi. Tu n'es pas un Montague, tu es toi-même. Qu'est-ce qu'un Montague? Ce n'est ni une main, ni un pied, ni un bras, ni un visage, ni rien qui fasse partie d'un homme...
Oh! sois quelque autre nom! Qu'y a-t-il dans un nom? Ce que nous appelons une rose embaumerait autant sous un autre nom. Ainsi, quand Roméo ne s'appellerait plus Roméo, il conserverait encore les chères perfections qu'il possède...
Roméo, renonce à ton nom; et, à la place de ce nom qui ne fait pas partie de toi, prends-moi tout entière.

Roméo: Je te prends au mot! Appelle-moi seulement ton amour, et je reçois un nouveau baptême: désormais je ne suis plus Roméo.


On s'engouffre, on plonge dans la douceur des mots, la chaleur des émotions, nos pieds ne touchent déjà plus terre quand tout s'arrête "ah, ça fait bien 20 ans que j'ai appris ça !"
On l'aura compris, on n'est pas là pour s'envoler. Garder les pieds bien au sol. Pas le temps d'oublier la pesanteur. Ils sont sans pitié. On n'aura pas le droit aux 30s supplémentaires.
Ils ont coupé Slip Away avant le refrain.

Pourtant c'est une belle nuit d'été. On entend les oiseaux du soir. J'ai le sourire au lèvres. Mes pieds ne touchent pas tout à fait le sol. Je crois que ceux de ma voisine non plus.
Finalement c'est pas si mal d'être dehors.

df.

Puisqu'ils ont arrêté Slip Away avant le refrain, le Blog d'Isaac pose un acte de résistance. ci-dessous.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

La voisine confirme... Une soirée magnifique, magique.
Un spectacle qui nous remet gentillement face à la réalité. Non sans critique envers les acteurs et metteurs en scène qui proposent des œuvres parfois si difficiles à decoder.
On peut envouter et faire ressentir Shakespeare à tout le monde si on est dehors au coin du feu à écouter du Bowie, voilà la morale... Un bel acte de militantisme, marié au rire et à la poésie.
Almellit

Anonyme a dit…

PS: 26 000 non?
http://www.26000couverts.org/
Almellit

Anonyme a dit…

merci chère voisine. la correction est intégrée !
df.